Catégories
Energie/Environnement Innovation/Techno/Recyclage

Les promesses de l’hydrogène

Réalisé par DOMINIQUE PIALOT

« Oui, mes amis, je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène, qui la constituent, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d’une intensité que la houille ne saurait avoir. » Cet extrait de L’île mystérieuse de Jules Verne, paru en 1874, laissait augurer des meilleures perspectives pour l’hydrogène. Qu’en est-il près d’un siècle et demi plus tard? Volera-t-on bientôt à l’hydrogène comme le prévoit Airbus ?

Avant de devenir la pierre angulaire des politiques de décarbonation que certains y voient, cette molécule composée de deux atomes d’hydrogène devra surmonter quelques obstacles. À commencer par son coût de production et la disponibilité en électricité bas-carbone.

Objet de tous les espoirs, voire de tous les fantasmes, dès lors qu’il s’agit d’atteindre la fameuse neutralité carbone devenue le graal des politiques climatiques, l’hydrogène fait couler beaucoup d’encre et mobilise d’importants investissements aussi bien publics que privés. L’Union européenne réserve à l’hydrogène vert une enveloppe de 430 milliards d’euros d’ici à 2030. En France, la stratégie nationale, qui vise à développer une filière industrielle et à implanter des gigafactories d’électrolyseurs pour décarboner son industrie et les transports lourds, est dotée d’une enveloppe de 9 milliards d’euros.

Dernière illustration en date de cet engouement, le succès du salon HyVolution dont la cinquième édition de février 2023 à Paris a été émaillée de multiples annonces : les premiers kilomètres en France du train Alstom électrique/hydrogène et plusieurs offres combinées entre producteurs d’hydrogène, de stations et de véhicules. Dans la mobilité électrique à batterie, constructeurs automobiles et responsables du déploiement de stations de recharge n’ont cessé d’attendre les uns après les autres, ralentissant son développement. C’est pour éviter ce syndrome « de la poule et l’œuf » que, dans l’hydrogène, Stellantis vient de s’allier à Engie, Bouygues Énergies & Services à Loxam, Hyvia (co-entreprise créée par Renault et l’américain Plug) à HysetCo, Air Liquide à Total…

Les véhicules carburant à l’hydrogène ont commencé à faire leur apparition depuis quelques années déjà. Les taxis Hype circulent dans Paris depuis la COP 21 de 2015 ; à la même époque, La Poste et quelques autres ont commencé à s’équiper en Kangoo et même en camions à hydrogène ; des bus et bennes à ordures sillonnent déjà certaines villes françaises; l’Allemagne a inauguré sa première ligne ferroviaire 100% hydrogène en août 2022 ; Stellantis et Hyvia engrangent des centaines de commandes pour leurs utilitaires… Mais l’annonce la plus spectaculaire de ces dernières années concerne l’avion à hydrogène. Cependant, s’il représente un grand espoir pour décarboner un secteur régulièrement pointé du doigt pour sa contribution au réchauffement climatique, il n’en est encore qu’au stade de la R&D.

Les collectivités séduites

mais la mobilité hydrogène décriée par certains experts

Présentant l’avantage de n’émettre que de la vapeur d’eau lors de sa combustion, l’hydrogène, comme la mobilité électrique à batterie, permet de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre des véhicules lors de leur utilisation.

En outre, moins lourd à transporter, plus rapide à recharger (comme un plein d’essence), l’hydrogène résiste également mieux au froid que les batteries. Autant de caractéristiques qui le rendent particulièrement intéressant pour une utilisation intensive (taxis, bus à rotations fréquentes), des charges lourdes (bennes à ordures, autocars) ou des reliefs escarpés.

Dans un objectif de décarbonation, de nombreuses collectivités françaises ont été séduites par la mobilité hydrogène. Notamment certaines régions pour leurs autocars interurbains ou leurs lignes de TER, mais aussi des villes et agglomérations animées de convictions écologiques ou anticipant les zones à faibles émissions (ZFE).

es émissions (ZFE). Certaines prévoient de bâtir autour de l’hydrogène des écosystèmes englobant production, transport et usages. À la clé: massification, baisse des coûts, création d’emplois et image d’innovation synonyme d’attractivité. Ces projets d’envergure ont les faveurs des pouvoirs publics et concentrent les subventions accordées par l’Ademe via ses appels à projets « Écosystèmes territoriaux hydrogène ».

Mais la mobilité hydrogène coûte cher : au moins 650 000 euros pour un bus (150000 pour une version diésel), et 100000 euros pour un véhicule utilitaire, contre 30 000 pour son équivalent en version thermique.

Et ses avantages comparatifs ont tendance à s’estomper à mesure que les performances des batteries s’améliorent et que leurs prix baissent. Pour Cédric Philibert, ancien de l’AIE et chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI), le surcoût des véhicules à hydrogène par rapport à ceux à batterie ne se justifierait plus que dans de rares cas tels que des bus interurbains assurant des liaisons de 800 kilomètres au Canada, des trains circulant en Scandinavie ou encore des transpalettes dans des entrepôts frigorifiques.

Quant à l’avion à hydrogène, si les essais de toutes sortes se multiplient, il y a loin de la coupe aux lèvres. Le constructeur anglo-américain ZeroAvia a effectué un premier vol de 10 minutes sur un avion de 19 places et travaille sur un moteur pouvant propulser un avion de 90 places.

Rolls-Royce et EasyJet ont testé, en laboratoire, l’alimentation d’un moteur d’avion à hélice où l’hydrogène remplace le kérosène. Airbus, qui a présenté plusieurs concepts capables de transporter jusqu’à 200 passagers, vise des avions à court rayon d’action et un démonstrateur sur la base d’un A380, pour 2035.

Mais plusieurs défis de taille restent à surmonter. Plus efficace que le kérosène à poids équivalent, l’hydrogène occupe un volume 3 000 fois plus important à température ambiante, quatre fois plus une fois comprimé à -253°C et liquéfié. De nombreux chercheurs planchent donc sur l’adaptation à l’aviation de réservoirs cryogéniques comme ceux utilisés dans l’aérospatiale. Les modalités d’acheminement ou la production directe d’hydrogène dans l’enceinte des aéroports, avec tous les enjeux associés en termes de sécurité, sont un autre défi d’envergure qui implique non seulement les avionneurs mais aussi les énergéticiens et le régulateur. D’autant plus que, 40-50 millions de tonnes d’hydrogène par an seraient nécessaires pour que le secteur respecte son engagement de réduire ses émissions de moitié en 2050.

« Les avantages comparatifs de l’hydrogène sur les batteries dans la mobilité ont tendance à s’estomper. »

Les usages industriels de l’hydrogène plus légitimes ?

Cependant, la pile à combustible n’est pas la seule option. En recombinant l’hydrogène avec des molécules de CO2, on peut aussi fabriquer des carburants de synthèse. Particulièrement prometteurs pour la mobilité lourde telle que le transport maritime ou l’aviation, ils peuvent se transporter par pipelines et gazoducs et fonctionnent avec les moteurs existants.

C’est en effet dans le champ industriel que le recours à l’hydrogène semble le plus prometteur. En France, la pétrochimie – raffinage, production de nylon, d’ammoniac et d’engrais ammonitrates – engloutit chaque année la quasi-totalité de l’hydrogène produit sur notre territoire. Or il s’agit pour le moment d’hydrogène d’origine fossile. Le remplacer par de l’hydrogène décarboné contribuerait largement à l’objectif de la stratégie nationale bas-carbone pour l’industrie.

« L’hydrogène peut aussi se substituer au charbon et au gaz naturel dans des procédés industriels. »

Si recourir à de l’hydrogène bas-carbone pour produire de l’ammoniac destiné aux carburants de synthèse représente un réel relais de croissance pour les fabricants d’ammoniac, le raffinage pétrolier comme la fabrication d’engrais azotés devraient diminuer dans les prochaines années. En effet, les énergies fossiles sont vouées à céder peu à peu la place à des énergies bas-carbone, et des politiques de lutte contre l’utilisation de produits phytosanitaires à base d’ammoniac apparaissent déjà.

L’hydrogène peut aussi se substituer au charbon et au gaz naturel dans des procédés industriels. Dans la sidérurgie, l’un des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre, l’utiliser comme agent réducteur d’oxyde de fer selon la technologie Direct Reducted Iron (DRI) permet d’obtenir de l’acier « vert ». Cette technologie est déjà utilisée en Suède par l’aciériste SSAB, qui a commencé à vendre sa première production au constructeur automobile Volvo. En France, ArcelorMittal investit avec le soutien de l’État pour transformer ses hauts fourneaux de Dunkerque et de Fos-sur-Mer. Son poids dans l’industrie est tel que cela devrait permettre de baisser les émissions françaises de 10%.

De gigantesques besoins en électricité décarbonée

Dans tous les cas, ces projets n’ont de sens qu’en utilisant de l’hydrogène bas-carbone. Or, aujourd’hui, 99% de l’hydrogène consommé dans le monde sont produits à partir d’énergies fossiles. Vaporeformage de gaz naturel, gazéification du charbon ou coproduit de la pétrochimie, cette production représente plus de 2% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Pour y remédier, les grands acteurs de l’énergie misent sur le captage et le stockage de CO2. Cela permet de transformer un hydrogène d’origine fossile en hydrogène partiellement décarboné, tout en leur offrant l’opportunité d’exploiter leurs gisements épuisés de gaz ou de pétrole pour y stocker le CO2. Mais cette technologie présente encore des enjeux de taille, principalement liés au transport et au stockage du CO2.

L’électrolyse en revanche, qui consiste à casser une molécule d’eau (H2O) par un courant électrique, est parfaitement vertueuse si l’électricité utilisée est décarbonée. Mais si elle ne représente encore qu’1% de la production mondiale et 6 % de la production française, c’est parce qu’elle est très énergivore et revient de trois à six fois plus cher que l’hydrogène fossile.

La disponibilité d’électricité bas-carbone pour l’électrolyse représente donc un enjeu de taille. Il en faudrait presqu’autant en 2050 que la totalité de l’électricité aujourd’hui consommée dans le monde, qui est majoritairement carbonée.

En Europe, le plan REPowerUE prévoit une consommation de 20 millions de tonnes d’hydrogène vert en 2030. La moitié serait importée depuis des pays disposant de ressources (foncier, soleil et/ou vent) pour produire des énergies renouvelables très supérieures à leurs besoins, tels que la Namibie, la Mauritanie, l’Australie ou le Chili.

Mais l’autre moitié nécessitera des investissements de 200 à 300 milliards pour financer le développement de capacités supplémentaires de renouvelables sur le sol européen. Pour résoudre cet obstacle, le Français Lhyfe, qui a produit à l’automne 2021 ses premiers kilos d’hydrogène vert en Vendée à partir d’un parc éolien terrestre, mise sur l’éolien offshore, « dont le potentiel est quasi infini » précise Maud Augeai, responsable du développement en France. Le même objectif anime le consortium AquaVentus qui rassemble 50 entreprises autour d’un projet de production d’hydrogène vert alimenté par 10 GW d’éolien offshore en mer du Nord.

En Espagne, le consortium HyDeal Ambition développe un mégaprojet composé d’un électrolyseur de 7,4 GW, alimenté par des capacités solaires de 9,5GWc. Ce nouveau modèle industriel et financier, basé sur l’intégration de la chaîne de valeur – énergie solaire, industrialisation des électrolyseurs, construction de pipelines d’hydrogène et agrégation de la demande – vise à obtenir un hydrogène vert à un prix compétitif.

Un vif débat oppose par ailleurs les États membres européens quant à la qualification de l’hydrogène obtenu par électrolyse à partir d’électricité nucléaire. La France et quelques autres poussent pour qu’il soit reconnu « vert » et bénéficie à ce titre des aides de Bruxelles, mais d’autres, Allemagne en tête, demeurent réticents.

Encore émergente, la thermolyse de biomasse, développée notamment par le Français Haffner Energy, produit de l’hydrogène en chauffant à très haute température des résidus agricoles ou issus de la forêt. Cette technologie nécessite peu d’électricité et présente sur l’ensemble du cycle de vie un bilan carbone négatif de 12kilos de CO2 par kilo d’hydrogène produit. Le process produit un gaz « précurseur » ensuite transformé en hydrogène ainsi que du biochar, un amendement utilisé en agriculture pour améliorer la qualité des sols.

Si certains usages apparaissent d’ores et déjà plus judicieux que d’autres, séparer le bon grain de l’ivraie demeure un exercice délicat dans un secteur de l’hydrogène bas-carbone en pleine effervescence.

Partager cet article
Partager cet article

Vous pouvez retrouver cet article dans la revue :

ECO KEYS #4

Commander sur Fnac Commander sur Amazon Commander sur Cultura