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Le sport, au-delà des Jeux Olympiques

Réalisé par Vincent Ferry

En Grèce, son effigie figure sur les pièces de monnaie. Sa performance et son destin ont fait retentir les trompettes de la renommée. Il faut dire que Spyridon Loúis, fils d’un petit berger, a réalisé un exploit mythique : remporter l’épreuve de Marathon, à Marathon, même. Pour son pays, c’est une fierté, un héros, un héros grec, bien sûr. « Sa victoire fut magnifique de force et de simplicité. Il sembla que toute l’Antiquité hellénique entra avec lui », reconnaît Coubertin lui-même. Le vainqueur entre dans la légende. « Courir comme un Loúis » devient une expression traversant les décennies. À lui seul, il incarne la renaissance olympique et celle de la Grèce, première organisatrice des Jeux olympiques et indépendante depuis moins d’un siècle.

Comment les JO ont toujours été un outil politique

« Les Jeux sont un formidable levier de soft power. Ils peuvent replacer le pays sur l’échiquier diplomatique, et rebooster son économie. On est clairement au-delà du sport », explique Richard Wawrzyniak.


Battue par Athènes en 1896, Paris aura ses JO. En 1900. Lot de consolation : ce sont les premiers du siècle. Du XXe siècle. Le siècle des JO. Événement sportif, business, mondial : les JO sont une aubaine pour dynamiser le pays, le mettre en valeur au plan mondial, dorer, redorer ou lisser l’image. Interrompus par les deux guerres mondiales, les JO vont vivre après 1945 au rythme de la Guerre froide. Héritage de cette période glaciaire : le tableau des médailles. « En fait, à l’origine, le CIO ne souhaite pas un tableau des médailles. Mais c’est durant les Jeux de 1952 que ce tableau devient prépondérant avec une comparaison entre athlètes russes et athlètes américains. Le chauvinisme national prend le dessus sur l’exploit sportif », relève Richard Wawrzyniak.

Le succès des JO, c’est aussi « la rencontre avec la télévision », rappelle Gilles Smadja, organisateur d’une grande exposition sur les athlètes qui ont changé l’histoire. Pour cet ancien bras droit de la ministre communiste des Sports, Marie-George Buffet, impossible d’oublier une scène qui fit le tour de la planète, et incarna la lutte des Noirs américains : en plein hymne américain, la tête baissée, le poing levé de l’athlète US Tommie Smith. Nous sommes le 17 octobre 1968, à Mexico. « Martin Luther King avait été assassiné cinq mois avant les JO de Mexico. Et pour moi, j’ai 14 ans. Je vois ça et c’est un choc. Je comprends tout à coup que le sport, ce n’est pas seulement le sport, c’est pas seulement courir, sauter ou lancer, c’est aussi autre chose. Il faut regarder toutes les photos de cette cérémonie. On voit le badge sur le survêtement « Olympic Project for Human Rights », un mouvement antiségrégation. Là on utilise, à ce moment, ce podium comme porte voix pour défendre une cause, et ça s’est fait de nombreuses fois dans l’histoire, analyse Richard Wawrzyniak. L’apparition des Jeux à la télévision a été une révolution. Ils sont rentrés dans les foyers. La télé a tout changé sur la popularité de l’événement. »


La popularité et l’impact de l’événement… C’est le calcul bien connu des terroristes palestiniens. Bien avant l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, il y a celle du commando terroriste, Septembre Noir, le 4 septembre 1972, à Munich. Bilan : 11 athlètes israéliens tués. L’Allemagne de l’Ouest qui voulait faire oublier Berlin 1936 avait mis en place un dispositif policier très relâché. Depuis, la planète sécurité a retenu les leçons et évité à chaque fois le pire. Reste que le danger terroriste plane désormais sur l’organisation des événements. Comme à Atlanta en 1996, à Londres en 2012, Paris 2024 n’échappe pas à la menace.

Cette menace, une femme l’a bravée, le 8 août 1992, aux JO de Barcelone. Elle s’appelle Hassiba Boulmerka. Elle vient de remporter le 1 500 mètres. Elle offre à l’Algérie la première médaille d’or de son histoire. « Je dédie ma victoire à toutes les femmes arabes », lance l’athlète. « Cette déclaration n’est pas anodine, se souvient Gilles Smadja. Elle est résistante, elle combat l’intégrisme. » En ces premiers mois de la décennie noire, marquée par des centaines de morts et d’attentats, c’est un défi lancé aux islamistes. Elle devra s’exiler dans les mois suivants pour échapper aux tentatives d’assassinats et aux contrats que les fous d’Allah avaient mis sur elle. Événement sur un temps réduit, braquant des milliards d’yeux sur un unique endroit, réunissant plus de pays qu’à l’ONU, « les JO nous racontent un peu de notre monde », philosophe Gilles Smadja.

« Et ce que cela raconte, poursuit-il, c’est le sort que les différents pays réservent des femmes. » « Combien de femmes défileront derrière les drapeaux de chaque délégation ? », questionne l’ancien journaliste. Plusieurs d’entre elles ont fait l’histoire des Jeux et l’histoire du sport. À commencer par Alice Milliat. « Cette Française n’est pas du tout connue », déplore Gilles Smadja. Passionnée d’aviron, fondatrice de la Fédération de sociétés sportives féminines de France, elle veut que les femmes participent aux Jeux olympiques. Malgré le refus du CIO et de Pierre de Coubertin qui jugent une telle présence « inintéressante, inesthétique et incorrecte », elle organise les premiers JO 100% féminin en 1922, à Paris. Paris et pari gagné ! 20 000 personnes viennent assister à ces compétitions qui mobilisent 11 disciplines et la présence d’athlètes venues de cinq pays « Cet événement-là va contraindre les instances du CIO à ouvrir aux Jeux de Paris en 1924, un certain nombre d’épreuves qui étaient interdites aux femmes », explique Smadja. Les femmes n’ont plus leurs JO. Elles seront aux JO. Une magnifique victoire dans cette IIIe République mysogine qui refuse encore aux femmes le droit même de voter ! Alice Milliat a gagné cette bataille. Et finalement la reconnaissance du Comité national olympique français. Impossible de manquer sa statue dans le hall d’entrée. Elle fait face à celle d’un certain Pierre de Coubertin.

Quand les JO boostent les inventions

Connaissez-vous l’Urbanloop ? Ce minibus va relier le parking aux lieux festifs de la « fan zone » de Saint-Quentin-en- Yvelines, lors des prochains Jeux de Paris. Pas de batterie, pas d’essence, l’engin inauguré à la veille de Noël est alimenté en très basse tension par les rails sur lesquels il circule. Pas de conducteur, le pilotage est assuré à 100 % grâce à des algorithmes d’intelligence artificielle.

Plus que jamais, l’Intelligence artificielle est la grande contributrice d’innovation pour ces 33es Jeux olympiques. À la RATP, elle a permis de développer « TRAD. IV. IA », un outil sur tablette permettant de traduire des textes en 17 langues différentes, de diffuser des messages sonores en sept langues différentes et de diffuser des annonces multilingues sur tous les écrans du réseau. Objectif : franchir au maximum la barrière de la langue et répondre au mieux aux 11,3 millions de touristes attendus dans la Ville Lumière. Les transports sont les grands gagnants des nouveautés olympiques. Les organisateurs le reconnaissent : Paris 2024 permettra aussi de mettre un coup d’accélérateur aux transformations du Grand Paris.

Un classique pour les JO qui sont des boosters de programme. Les JO de Tokyo en 1964 en sont un des meilleurs exemples : « Ils ont permis une restructuration totale du réseau de transport, de construire des autoroutes », raconte l’historien et consultant Richard Wawrzyniak. Pour autant, toutes les innovations ne sont pas les bienvenues. Au grand dam d’Augustin de Romanet, le PDG d’ADP, le Conseil de Paris a recalé le projet révolutionnaire de « taxis volants », des petits hélicoptères électriques fonctionnant sur le même principe tarifaire et d’emport que les motos- taxis. « Une absurdité écologique » ont décrété les élus de la majorité municipale.

L’écologie, l’environnement et la sobriété : voilà le fil conducteur et le grand défi de ces Jeux ! Le comité organisateur des Jeux olympiques et paralympiques s’est engagé à réduire de moitié ses émissions de CO2. Thomas Bach avait ainsi justifié le choix de la capitale tricolore, avec Los Angeles en 2028 : « Les deux villes ont totalement appliqué l’Agenda olympique 2020, et ce de plusieurs façons, mais surtout en ce qui concerne le projet d’utiliser un nombre record d’équipements existants et temporaires (…), cela conduira à une réduction significative des coûts d’organisation des Jeux olympiques et rendra les Jeux plus durables et plus réalisables », précise le patron du CIO, sur le site officiel de l’organisation.

Infrastructures vertes –
De son côté, Solideo, l’organisme en charge de la construction et de l’aménagement des sites, se félicite des avancées permises par les contraintes environnementales. La prouesse la plus emblématique se situe à deux pas du Stade de France avec la construction du centre aquatique. 5 000 mètres carrés de toiture, coiffés de panneaux photovoltaïques. Et surtout, première en France, une charpente de 90 mètres, la plus grande du monde. Pas d’acier. Que du bois, venu de forêts écogérées en Finlande. Le chauffage est assuré par le data center voisin. Les sièges en plastique recyclé sont conçus à partir des bouchons issus des écoles d’Aubervilliers. Les promoteurs du projet s’enorgueillissent de concilier ainsi excellence environnementale sur la base et innovation technologique.

Tout aussi ambitieux, voire un peu risqué : le Village olympique et le pari d’un fonctionnement sans climatisation intégrée. Béton ultra bas carbone, recours massif au bois, végétalisation, géothermie… la cité des athlètes est vue comme le modèle de la ville européenne de demain : frugale et résiliente. C’est là que se concentrent beaucoup sinon la plupart des innovations technologiques et environnementales. Solideo soutient que certains dispositifs technologiques sont mis sur le marché avec cinq ans d’avance. Condition sine qua non pour être labélisés « durables » : 75 % de ces infrastructures sont appelés à perdurer, après le départ des 15 000 athlètes. Le site doit fournir, par la suite, écologements, commerces, bureaux et salles de sports.

Des énergies bas carbone –
Place aussi à l’électricité pour réduire l’empreinte carbone autour des grands sites de compétition. Les traditionnels groupes électrogènes fonctionnant au diesel sont remplacés par des bornes électriques raccordées au réseau.

Autre chantier : la sécurité. Thales a, pour l’occasion, développé une nouvelle version de sa Smart Digital Platform (SDP), un poste de commandement unique de supervision qui rassemble, en temps réel, des datas fournies par ses instruments de captation et détecte les événements. L’outil permet de lancer des alertes et de proposer des solutions aux forces de sécurité. Innovation supplémentaire : des drones « antidrones malveillants ». Développé par Thales et CS Group, le dispositif est capable de détecter un drone intrus et de l’intercepter, à la vitesse d’un avion de chasse, dans un filet.

Côté contrôles de sécurité, des machines sont actuellement expérimentées pour scanner des ordinateurs, tablettes et produits de beauté sans avoir à les sortir et, dans les aéroports, des parcours en biométrie qui assurent aux voyageurs un passage des contrôles de sécurité rapide.

Sur les écrans, un cap aussi est franchi : les JO de Paris seront produits en ultra haute définition (UHD) au format HDR (imagerie à grande gamme dynamique). Le public aura quatre fois plus de détails que la HD standard. Histoire d’encore plus vibrer aux performances des champions. Ce sont d’ailleurs eux les grands, sinon les principaux moteurs d’innovation.

Comme le souligne Christophe Clanet : « Le sport pose des questions qui ne seraient pas sorties s’il n’y avait pas ce prisme de la quête de perfection chez les sportifs élites.. De la même façon que la recherche industrielle a amené de l’innovation. Là, vous avez des gens excessivement exigeants qui vous disent : ”J’aimerais faire ci et ça”. Et en essayant de le faire, vous arrivez parfois à une solution innovante qui sans ça n’aurait jamais été faite. » Et ce n’est pas fini : « On est en pleine explosion du machine learning. Ce nouvel outil pour les physiciens leur permet d’intervenir, creuser et découvrir de nouvelles lois. Le machine learning va être un nouvel outil d’observation pour le physicien et avec lequel il pourra aider à donner un nouvel outil aux entraîneurs », révèle le directeur du programme Sciences 2024. L’innovation ne s’arrêtera pas après les Jeux.

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