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Reportage

La montage, paradis des randonneurs

Réalisé par LAURENT GANNAZ

Photos LAURENT GANNAZ

Pourquoi marche-t-on en montagne ?
Par amour de l’effort ? Des paysages ?
Pour trouver la paix ?

« Nous avons passé trois jours au refuge de Tré-la-Tête, à la rencontre de randonneurs et d’alpinistes. »

Situé à 1970 mètres d’altitude, à l’aplomb des Contamines-Montjoie, au cœur du massif du MontBlanc, le refuge de Tré-la-Tête sert de camp de base aux alpinistes qui s’engagent plus haut,
sur la traversée des Dômes de Miage (courses classiques glaciaires), puis sur l’Aiguille de la Bérangère (itinéraires sur névés et roches) via le refuge des Conscrits (2602m). Accessible par deux sentiers, Tré-la-Tête est aussi situé à portée du glacier éponyme ainsi que sur une variante du tour du Mont-Blanc. Cette situation particulière, en moyenne montagne, favorise des pratiques multiples où retraités et familles, alpinistes, marcheurs au long cours et autres traileurs se croisent. Un véritable microcosme du monde de la randonnée.

Goût du dépassement

Pour rejoindre Tré-la-Tête depuis le Val Montjoie, il faut compter, selon sa forme, deux heures à deux heures et demie en moyenne (pour 800 mètres de dénivelé environ). Un temps de marche qui place le refuge à la portée du plus grand nombre. Cependant quel que soit le sentier emprunté, la pente est raide et faiblit rarement et il ne faut pas ménager ses efforts pour y arriver. Cela tombe bien : le goût du dépassement est un moteur fort chez beaucoup de randonneurs en montagne. Pour Camille et Mélaine, jeune couple annonéen, habitué des courses de haut vol (Camille épingle à son palmarès le Grand Paradis, le Mont-Blanc et les Écrins…), l’arrêt à Tré-la-Tête s’inscrit sur la ligne retour d’une course aux Dômes de Miage qui culminent à 3637 mètres.
« Je suis membre du Club alpin français (CAF) en Ardèche. Je me suis entraîné dans des écoles de glace dans le MontBlanc, explique Camille. J’aime bien me fixer des objectifs : atteindre un sommet emblématique dans chaque lieu. » Cette fois, les deux vingtenaires ne seront pas arrivés à leurs fins, l’accès au sommet des Dômes s’étant révélé inaccessible par l’apparition de crevasses. Autre génération mais partageant la même motivation, à peine émoussée par le grand âge : Danièle, âgée de 80 ans. Elle habite près de la frontière genevoise. Elle attend patiemment, assise sur un rocher, son mari (octogénaire aussi) monté jusqu’au refuge des Conscrits. Elle reconnaît n’avoir rien perdu du « goût de l’effort, de parvenir au but qu’on s’est donné. »

Paix de l’esprit

Erni, quadragénaire hollandais, engagé sur le tour du Mont-Blanc, se revigore avec une copieuse omelette, à 17 h. Il assume ses douleurs : « J’ai mal un peu partout.
J’aime souffrir : la marche est intéressante car il s’agit d’un effort plus long que les sports que je pratique habituellement comme la natation, le VTT ou le cyclisme…
Et puis, là, je vis une période compliquée entre ma relation, deux enfants, la rénovation d’une maison, un changement de job…
C’est le bon moment pour être seul. La marche constitue une voie pour apaiser l’esprit. » Chez la plupart des randonneurs, la quête du dépassement et le goût de l’effort ne sont jamais bien éloignés d’une quête de calme et de quiétude. Car en offrant la possibilité de se surpasser physiquement, au cœur d’un environnement préservé et silencieux, loin des tracas du quotidien, la marche permet de mettre à distance les contingences matérielles et les contraintes d’une société anxiogène.
Nicolas, chef de cabine dans l’aviation, ancien pratiquant de trail, reconverti à la marche (plus ou moins rapide), aime pratiquer seul, cette activité. Il a développé pour cela une méthodologie du pas bien  à lui: «C’est un moyen de me retrouver, au début de la montée, je “cale les affaires dans ma tête”, et puis une fois que cela est fait, j’accueille ce qui se passe, je prends des photos. » «Pour moi, c’est une forme d’introspection, abonde Denis, père de famille breton, venu avec sa femme et sa fille, une façon de se vider la tête, d’évacuer un peu tout. » Prendre du recul et organiser ses pensées… c’est aussi l’attente de Valentin et Louise, un jeune couple de professeurs d’école, du genre sportif, engagés sur le tour du Mont-Blanc. « On vient de Thonon-les-Bains. On a déjà fait quelques balades dans le coin, pas loin de Chamonix. On pratique le ski de randonnée et un peu le trail. Pour moi, explique Valentin, la randonnée me permet de m’aérer, de réfléchir et de me poser. Pour Louise, c’est une façon de déstresser. Et même si l’activité peut être fatigante, elle ressource. »

« Une source entre trois cailloux, ma récompense »

Est-ce dû à ce silence particulier ? À ce sentiment de liberté émergeant au contact des grands espaces ? Ou à cette lenteur qui facilite l’observation ? La marche en montagne reste aussi plébiscitée pour ce rapport à la nature si particulier, d’autant plus prégnant encore du fait de la distance et de l’éloignement. La plupart des randonneurs interrogés insistent ainsi sur le plaisir éprouvé, au-delà de l’effort, à la simple observation, ou la découverte de paysages.
Qu’il s’agisse de panoramas inédits, redécouverts au gré des saisons, ou de simples sites dont la portée est amplifiée par l’isolement et l’effort, le plaisir de la randonnée est indissociable de celui de la contemplation. « En montagne, le paysage, la simple vue d’un lac, d’un sommet, d’un bouquetin m’apparaît comme une récompense, décrit Danièle. J’ai encore devant les yeux l’image d’une simple source des Pyrénées, surgie entre trois cailloux, avec sa mousse et son rideau d’eau. » « On aime le paysage au bout de l’effort, continuent Denis et Marianne, un couple de sexagénaires belges. Ici, on apprécie de monter et d’avoir une vue d’ensemble, ce qui n’est pas possible dans notre pays où le point culminant ne dépasse pas 700 mètres. »

Émerveillement renouvelé

Qu’on soit du plat pays ou né sous le mont Blanc, le ravissement lié à l’altitude reste le dénominateur commun: « J’ai toujours le même plaisir à venir ici, résume JeanLouis, quinquagénaire sportif, originaire de la vallée de l’Arve. À quelques kilomètres, l’éclairage et la lumière ne sont jamais les mêmes. Chaque saison réserve des surprises. » Découverte, ou redécouverte, « il faut que ce soit nouveau », indique Franck, originaire du Beaujolais mais habitué des Contamines-Montjoie.
Avec sa femme et ses trois enfants, le père de famille s’est payé l’exotisme d’une nuit au refuge des Conscrits : « Chaque année, on se lance un défi, comme un bivouac en montagne. On aime bien ces partages en famille. »

Partage, esprit de corps et de cordée… la montagne resserre les liens, réhabilitant des valeurs parfois galvaudées en bas. « Dans un milieu hostile, on est tous pareils, explique Franck. Il n’y a plus de hiérarchie, surtout dans les refuges : tout le monde est pris dans une atmosphère et se parle. » Pour Véronique et Michèle, deux sœurs remontées aux Conscrits près d’un demi-siècle après leur initiation à la haute montagne (sur les traces de parents montagnards), elles commentent: « Rien n’a changé là-haut: comme il n’y a pas de réseau, on discute comme il y a 50 ans ! » Pour la sororie, le retour aux sommets a des allures de « chemin de la mémoire » et de « pèlerinage ». « On est une cordée réversible, ajoute Véronique, le premier de cordée est un peu le guide, il se sent responsable de l’autre. » Pour cette psychologue, le plaisir de la randonnée réside aussi dans la maîtrise du souffle, base de la méditation et de la détente : « Ce que je vis dans le corps grâce à la montagne, c’est le rythme, la lenteur et la respiration en présence silencieuse. »

L’esprit de cordée

La conclusion revient à Marielle, propriétaire et gardienne du refuge de Tré-la-Tête depuis vingt et un ans. La Saint-Gervolaine, au verbe franc, a aussi travaillé douze ans au refuge du Promontoire, abri mythique de la Meije, en bordure du massif des Écrins, une référence dans le milieu: « Ici, à Tré-la-Tête, les 4X4 ne peuvent pas monter, ça change la donne, on se sent en terrain d’aventure. Pour beaucoup, il s’agit de la première expérience en refuge, et on peut accéder au glacier. J’ai bien vu la clientèle évoluer : aujourd’hui, on me demande où sont les douches alors qu’il y a vingt ans, on me demandait s’il y avait des douches. Mais je tiens à garder un état d’esprit empreint de respect car j’ai hérité ça du Promontoire : la cordée et le lien, ça veut dire quelque-chose. »
Comprenez : si vous n’êtes pas prédisposé à débrancher, à vous connecter aux autres et à la nature, passez votre chemin.

 

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