En Tanzanie, Denis Lebouteux fait partie des précurseurs en la matière et nous embarque pour un safari vert. Située en Afrique de l’Est, au bord de l’océan Indien, la Tanzanie, grande comme deux fois la France, est réputée pour ses safaris-photos exceptionnels. Si la proximité des grandes villes comme Dar Es Salam et Arusha, ou même Zanzibar, ne pose aucun problème pour l’alimentation en eau et en électricité des hôtels et des lodges dans un rayon restreint, il en va tout autrement des infrastructures d’hébergement situées au cœur des grandes réserves animalières, nationales ou pas. L’aide gouvernementale est assez présente pour la protection de la faune à travers, notamment, la mise en place de nombreuses équipes de rangers qui ont pour mission de surveiller des territoires immenses et d’endiguer le braconnage. Pour le reste, pas d’aide gouvernementale et c’est à chacun de se débrouiller pour faire fonctionner les camps et lodges, y compris de s’autosuffire en énergie et en eau. Autant dire que dans certaines zones, le défi est de taille. Denis Lebouteux, à la tête de Tanganyika Expéditions a décidé de le relever.
Tanganyika Expéditions, l’histoire d’un précurseur de l’écotourisme
Cet ingénieur diplômé des Ponts et Chaussées à l’origine est aussi un passionné d’anthropologie. En visite, il y a trente-cinq ans, à Olduvaï (site préhistorique majeur) pour assouvir sa passion, Denis Lebouteux est tombé amoureux de la Tanzanie et a décidé de s’y fixer. En s’associant avec deux partenaires financiers qu’il arrive à convaincre de la pérennité de son projet, il se lance alors dans la construction du premier lodge de Tanganyika Expéditions : Olduvaï. À une époque où ce genre de projet est assez inhabituel, voire périlleux, il passe pour un « original ». Tanganyika Expéditions est ainsi devenu l’un des premiers acteurs du tourisme local à s’intéresser aux problèmes environnementaux en Tanzanie et à l’empreinte négative que pouvaient générer ses infrastructures et activités au sein des réserves animalières. L’opérateur français est aujourd’hui à la tête de douze tented-camps, ces petits hébergements construits comme des grandes tentes de luxe, avec une structure en bois, à laquelle la toile est arrimée. Il emploie aujourd’hui environ 300 personnes, essentiellement des locaux.
L’engagement progressif et constant de Tanganyika Expéditions dans la durabilité
Le premier pas de l’opérateur vers l’écologie a été d’alimenter ses tented-camps avec des panneaux solaires, pour fournir l’essentiel en besoin d’énergie de ses infrastructures isolées de tout. Bien entendu des générateurs d’appoint ont été installés pour combler les manques, notamment en période de pluie, quand le soleil fait des caprices… Par ailleurs, ces panneaux solaires sont posés sur des toits en pente qui recueillent les eaux de pluie (capacité de 250 000 litres à Grumeti) en partie traitées et purifiées pour la consommation courante, le reste servant à l’alimentation des salles de bains, entre autres. La seconde démarche pour satisfaire les besoins de la clientèle a été de creuser des puits et d’y relier des pompes afin d’alimenter en eau les sanitaires et les cuisines. Une station d’épuration a été ensuite installée dans chaque lodge, afin de garantir une eau pure et saine à 100 %. D’ailleurs, aujourd’hui, cette eau purifiée est distribuée en exclusivité dans les tentes et dans les restaurants. Pas de bouteilles en plastique chez Tanganyika Expéditions ! À cela s’ajoutent d’autres installations : stockage alimentaire frais dans des locaux qui multiplient par quatre ou cinq le temps de conservation des aliments sans congélation. Une laverie qui fonctionne au courant généré par le site, avec l’utilisation de produits détergents « verts » qui sont ensuite traités après usage pour une pollution zéro. Cette laverie répond à tous les besoins et sert, notamment, au nettoyage de toutes les literies des douze lodges. Le centre de stockage et de gestion de la recharge des batteries qui équipe les véhicules, occupe aussi une bonne place, avec un petit garage pour l’entretien quotidien des 4X4 électriques. En effet, la dernière innovation de Denis Lebouteux a été de convertir les véhicules utilisés pour les safaris-photos en 4X4 électriques (retrofitting). Bienvenue à bord de l’un d’entre eux.
Safari en 4X4 électriques
C’est à Grumeti, au coeur du parc national le Serengeti, que débute notre safari électrique. Si le Serengeti est connu pour être le berceau de la plus spectaculaire migration de gnous, zèbres et antilopes se déplaçant au rythme des pluies et des sécheresses, Grumeti accueille aussi l’un des douze tented-camps de Tanganyika Expéditions. Après une courte nuit bercée par les sons du bush, le rire des hyènes et le rugissement des lions dans le lointain, c’est l’heure du départ pour un safari un peu avant l’aube. Après un café vite avalé, il est temps de rejoindre le véhicule électrique où attend déjà le chauffeur. Bruit de démarreur et puis… plus rien ! La voiture « siffle » à peine et seuls quelques bruits de suspensions percent la nuit. Dès la sortie du lodge, on aperçoit quelques ruminants, surpris de ne pas nous avoir entendus arriver. Ce silence nous permet de les observer d’assez près, sans les faire fuir. Nous continuons notre route à la recherche d’animaux plus difficiles à observer, lions, léopards, rhinos… « Nos douze 4X4 électriques fonctionnent comme les autres véhicules, mais ils ne polluent pas du tout et sont très silencieux, ce qui facilite l’approche des animaux que les gros moteurs diesel peuvent rendre nerveux, ce qui souvent les fait fuir », explique Denis Lebouteux. Nous croisons beaucoup de familles de girafes et d’éléphants en quête de leurs feuillages favoris ou d’un plan d’eau. Les pluies ont été généreuses cette année et rien ne manque. Après une heure de recherche, mon guide me signale une famille de lions, regroupée autour d’un arbre. Un énorme mâle accompagné de six femelles et quelques lionceaux. La chasse de la veille a été bonne, car les ventres sont bien rebondis… Là encore, l’approche silencieuse nous permet de les observer d’assez près, sans provoquer d’inquiétude chez ces magnifiques animaux. C’est à peine si le mâle, pourtant chargé de la protection du groupe, relève la tête pour nous évaluer, pour aussitôt retourner à sa digestion nocturne… Les voir aussi paisibles en notre présence a quelque chose de rassurant, nous ne sommes pas des perturbateurs, juste des observateurs silencieux ! Après un petit quart d’heure délectable, nous reprenons notre chemin. L’aube nous accompagne, avec sa cohorte d’animaux de toutes sortes, essentiellement des herbivores, zèbres, buffles, gnous, bubales, girafes, etc. La période de la grande migration est passée, mais ils sont encore des dizaines de milliers à profiter de l’herbe grasse dont les pluies tardives et abondantes assurent la pousse. Nous rechercherons vainement un léopard ou un timide rhinocéros dans la demi-heure qui suit. La prochaine fois, peut-être… Il est temps de retourner au lodge, pour une sieste méritée, la nuit a été courte ! Sous la houlette de Denis Lebouteux, l’opérateur a entamé une transformation très coûteuse de son parc de 4X4 servant aux safaris photos en 2018. Le but est ambitieux et génère des effets à double détente. Le principal avantage est d’effectuer des safaris sans polluer en occasionnant le moins de gêne possible pour la faune. Le second est économique : les fabricants de véhicules ne fournissent pas de véhicules déjà adaptés aux pistes souvent délabrées (durant et après les pluies) qui sillonnent les réserves (le marché serait trop faible d’après le constructeur). Un « transformateur » se charge alors d’augmenter la résistance des véhicules, en rigidifiant la structure même des 4X4, en durcissant les amortisseurs et en rallongeant (sur demande) les véhicules afin d’accueillir plus de passagers. Avec ces aménagements, les véhicules peuvent se lancer à l’assaut des pistes les plus cahoteuses. Mais malgré ces modifications, les véhicules ont une durée de vie limitée (sept à huit ans) due à l’état des pistes, mais aussi aux vibrations des gros moteurs diesel qui font jouer tous les boulons de fixation et torturent les soudures qui assurent la rigidité des 4X4.
Comment ces safaris électriques contribuent-ils à la sensibilisation et à l’éducation des visiteurs ?
Ces safaris électriques représentent une avancée significative dans l’écotourisme, offrant une expérience immersive tout en préservant l’intégrité de la faune et de la flore. Cette initiative souligne l’importance de la conservation de la nature. Les safaris silencieux permettent aux visiteurs de s’approcher de la faune sans la perturber, favorisant une observation plus naturelle et respectueuse. Cette proximité silencieuse avec la nature sauvage devient souvent un sujet de conversation parmi les visiteurs, les incitant à réfléchir sur l’impact environnemental de leurs activités. « Quand ils sont en situation, les clients apprécient particulièrement le fait de rouler en silence, sans perturber l’écosystème. D’ailleurs, autour d’un verre ou au cours des repas le soir, le sujet revient immanquablement dans les conversations. L’approche silencieuse de la faune est particulièrement appréciée et la neutralité en carbone devient aussi un vrai sujet dans les conversations. Pour la flore, c’est surtout lors des safaris à pied que la clientèle est sensibilisée à l’environnement global et à l’écosystème tanzanien. Les visiteurs font preuve d’un vif intérêt pour les découvertes qu’ils font et ils deviennent ainsi plus réceptifs à l’aspect environnemental et écologique de leur voyage. Ce qui n’était pas forcément évident avant de vivre cette expérience », explique Denis Lebouteaux. Et de continuer : « En fait, dès lors qu’ils sont mis en situation, tous les clients sont sensibles à l’aspect écologique de nos safaris. Des plus jeunes aux plus anciens, hommes et femmes, chacun puise dans le flot d’informations qui leur est prodigué au cours des safaris. Nous avons une majorité de visiteurs français et francophones (Suisses, Belges et Canadiens) et chacun perçoit l’intérêt de ces expériences en fonction de sa culture propre et de sa sensibilisation aux problèmes de l’écologie avant de venir. Nous avons aussi des clients venus d’Allemagne, d’Angleterre et de Hollande, qui ont entendu parler de nous… Tous semblent ravis de vivre leur voyage dans un esprit durable. »
La transformation des 4X4 thermiques en véhicules électriques
Partant de ce constat de non-durabilité de sa flotte, Denis Lebouteux en a donc décidé la mue afin de nuire le moins possible à un environnement qui lui est très cher. « Depuis que nous avons adopté la solution électrique, nous n’avons eu à déplorer que très peu de pannes et beaucoup moins d’usure des parties mécaniques des véhicules, explique-t-il. En soi, la transformation n’a rien de sorcier, mais il faut cependant des spécialistes pour s’en charger. Qu’à cela ne tienne, on les embauche ! » Les moteurs thermiques sont déposés et remplacés par des moteurs électriques (moins encombrants) et de grosses batteries sont fixées au plancher. La cabine est rallongée pour accueillir quelques passagers supplémentaires, car ces moteurs sont très puissants. Si elle demande un investissement non négligeable, cette transformation n’en est pas moins rentable. En effet, « un 4X4 électrique sort de chez le constructeur à 100 000 € minimum, sans compter l’intervention d’un transformateur, comme pour les véhicules thermiques… En réutilisant des 4X4 ayant déjà fait leur temps (environ sept-huit ans) et en les adaptant ainsi, le coût global est d’environ 40 000 € pour chaque véhicule reconsolidé », détaille Denis Lebouteux. Par ailleurs, les nouveaux moteurs sont « bridés » de façon à limiter la casse sur les pistes. La durée de vie prévisionnelle passe de sept-huit ans à vingt-cinq ans et plus. Autant dire que l’opération est plutôt rentable dans le temps…
L’alimentation pour les batteries
Bien entendu, pour alimenter ces gros dévoreurs d’énergie, il faut des installations adéquates. C’est pourquoi la capacité en panneaux solaires de deux des sites de Tanganyika Expéditions a été augmentée. Ainsi, les lodges de Grumeti et de Bashaï ont aujourd’hui les moyens de s’autosuffire à la fois en eau, en électricité et ont la capacité de générer la puissance nécessaire aux 4X4 électriques. Pour le moment, les batteries installées sur les véhicules ne permettent pas d’aller au-delà de 200 kilomètres, mais des batteries plus performantes au lithium sont attendues en ce début d’année pour équiper les cinq nouveaux véhicules qui seront transformés cet hiver, passant le parc de 12 à 17 voitures. L’autonomie de la nouvelle génération sera alors de 400 kilomètres, de quoi garantir de longues traversées aux passagers, sans limite géographique et sans coût supplémentaire… « Nous aimerions équiper tous nos véhicules (environ 90 si l’on compte les véhicules logistiques de Tanganyika Expéditions), mais nous devons amortir l’investissement que cela représente dans le temps. Nous adoptons donc la politique des petits pas pour atteindre cet objectif. Par ailleurs, nous avons créé la société E-Motion pour offrir le retrofitting à d’autres opérateurs, nous comptons faire des émules dans la profession, pour le bien de tous. Nous sommes dans une démarche globale de durabilité qui, somme toute, sera aussi un gros vecteur de développement économique pour notre société. Dans notre vision, économie et écologie font bon ménage ! », commente Denis Lebouteux.