C’est l’histoire d’un passionné d’hydroélectricité : Bruno Havet, actuel directeur des achats d’un grand groupe. Ses vacances, il les passe dans des moulins à eau. Une façon de combler une vieille frustration lors d’un voyage au Canada, il y a vingt ans, avec sa femme qui refuse de faire un détour de 1000 kilomètres pour aller visiter une usine hydroélectrique! Ce qui ne le refroidit pas. Il suit une formation à Grenoble et finit par contaminer son père, juste retraité, un oncle, et un copain de son école d’ingénieur, devenu son futur associé Sébastien Lecomte, à la tête de la société d’investissement S2E.
«On a décidé de chercher un vieux moulin à eau à retaper pour y mettre une turbine. Ça a pris du temps, on a parcouru toute la France», se souvient avec nostalgie Bruno Havet qui jette son dévolu sur l’un d’eux en Charente, à Balzac, au nord d’Angoulême.
Originaire de Franche-Comté, l’enthousiaste ingénieur visera ensuite l’Est – la Seine Amont, la Champagne, le Doubs où il rachète d’anciennes installations qu’il adosse à la maison mère La Compagnie comtoise des Eaux Vives, née il y a une douzaine d’années.
Un parcours du combattant
Pour son fondateur, c’est une évidence, les quelque 2500 microcentrales privées en France n’ont que des avantages* « La microélectricité : c’est l’énergie renouvelable la plus pure, qui ne dégage pas de gaz à effet de serre, opérationnelle toute l’année et dont la turbine peut durer cent ans. En termes de durabilité, c’est fantastique ! » Malheureusement, selon lui, ce potentiel est « gâché ». «La France a de la chance avec ses montagnes et ses cours d’eau mais elle est emprisonnée par son millefeuille administratif. » Il faut en effet environ dix ans entre le moment où l’exploitant met la main sur un site et la mise en activité: un véritable parcours du combattant, car pour « turbiner », il faut de nombreuses autorisations émanant d’administrations. Pour le droit d’eau, on peut avoir un parcours un peu simplifié si on possède un titre historique antérieur à la nuit du 4 août 1789, voire pour les cours d’eau domaniaux avant l’édit de Moulins de 1566 réglementant les aliénations au domaine royal !
« Avec les moulins à eau c’est toute l’histoire de France qui ressurgit à l’occasion de ces procédures, explique Bruno Havet. Il faut souvent se plonger dans des archives en vieux français, en latin, voire dans une autre langue, quand il s’agit de provinces étrangères comme la Franche-Comté avant le traité de Nimègue de 1678 permettant à Louis XIV d’annexer la région. »
Une histoire de France qui a révélé la force des moulins à eau dans les villages, puisque souvent, c’est à ses pieds que s’installait une industrie locale – forge, tuilerie, tannerie.
La renaissance de villa
C’est le cas du moulin de Courteron – 110 habitants – dans le sud de l’Aube, l’un des premiers en France à avoir été équipé, en 1868, pour éclairer les rues.
Une découverte faite par Bruno Havet à la fin d’une longue journée à crapahuter. Il tombe nez à nez sur l’ouvrage, inopérant depuis la Libération, Le coup de foudre.
Pour réaliser le projet, il doit mettre 1 million d’euros, dont il obtiendra le tiers auprès de 300 contributeurs (dont la Maison de Champagne Fleury) sur la plateforme de crowdfunding Lumo, le reste émanant de prêts du Crédit Coopératif. Huit ans plus tard, le moulin mu par des vis d’Archimède, tournant sous l’effet de la chute de l’eau, peut produire 600000 kWh par an soit la consommation de plus de 200 foyers. À la grande satisfaction des habitants du village car la société des Eaux Vives de Courteron a pu certes remettre le moulin en marche, mais aussi entretenir la rivière pour retirer sangliers morts ou troncs d’arbres qui arrivent charriés par les eaux. Aujourd’hui, l’entreprise de Besançon est à la tête d’une quinzaine de moulins. De gros projets l’attendent dans les Alpes où au-delà de 2 000 mètres. Napoléon III avait fait planter des forêts pour stabiliser les sols face à la présence de laves torrentielles et de glissements de terrain.
L’ONF qui en a la gestion, considérant qu’il y a là un potentiel hydroélectrique, a donc lancé un appel à projets sur lequel Bruno Havet s’est positionné pour construire ex nihilo une dizaine de microcentrales dans la vallée de la Maurienne et de l’Ubaye. Encore une réminiscence de l’Histoire de France !
