L’entreprise du Haut-Rhin n’a cessé de développer durant des décennies des techniques innovantes de coupe et de brossage qui lui permettent aujourd’hui de proposer une vaste gamme de velours avec des côtes plus ou moins grosses, des tissus plats, des textures telles que gabardines, sergés, satins, suédines. À sa tête depuis 2010, année où Velcorex se retrouve en liquidation judiciaire, un ardent défenseur de la filière dans la région, Pierre Schmitt, ancien manager du groupe DMC. Il dirige aussi, toujours en Alsace, trois autres entreprises, Philéa Textiles, Tissage des Chaumes, Emanuel Lang.
La France produit les trois quarts de la production mondiale de lin
Conscient que le textile est une industrie polluante, le président du groupe, qui réalise 25 millions d’euros de chiffre d’affaires, s’est engagé dans la préservation de l’environnement: utilisation de coton issu de l’agriculture biologique, réutilisation et recyclage des déchets textiles, retraitement des eaux usagées.
Mais ce n’est qu’une étape puisque le groupe de Saint-Amarin compte relancer une filière de lin – de la plantation jusqu’au dernier point de couture. C’est une matière abondante en France, qui en produit les trois quarts de la production mondiale, environ 150 000 tonnes, principalement en Normandie.
Pierre Schmitt a investi 3 millions d’euros, dans un premier temps, dans une filature de lin sur le site Emanuel Lang à Hirsingue. Il le rappelle : « Il ne faut pas oublier qu’on a des plantes qui font partie de notre culture textile depuis des siècles comme le lin, le chanvre ou l’ortie. On avait oublié de les valoriser en se réfugiant dans le coton. Or, c’est un environnement d’exception. » C’est vrai que le lin n’a besoin que de très peu d’engrais et quasiment pas de pesticides, qu’il pousse avec la pluie, à la différence du coton.
« On est devenu fous dans ce pays »
Pierre Schmitt a donc rapatrié, il y a trois ans, de Hongrie, six machines Schlumberger, le leader mondial de fabrication de machines à filer les fibres longues, installé non loin, à Guebwiller. Une première, car le lin, produit en France et en Belgique, était depuis la fermeture de la dernière filature tricolore dans les années 2000, expédié dans le monde pour être filé à bas coût. « On est devenu fous dans ce pays. On a des matières premières comme le lin, alors qu’on l’envoie en Chine. Il faut refuser la fatalité. »
L’industriel affirme que de grandes marques de vêtements l’ont contacté tels Sandro, Asphalte, Ralph Lauren ou Massimo Dutti. Ce qui rend heureux l’industriel alsacien: « À l’avenir, il y aura beaucoup de filatures de lin, de chanvre et d’orties qui vont s’implanter chez nous. »
Velcorex planche d’ailleurs sur un velours de lin, léger et respirant pour l’été, et avec Agathe, sa fille, il s’apprête à lancer son premier jean en lin 100 % français sous la marque Sème avec du lin normand, filé en Alsace puis tissé, teint et ennobli en France. Prix : 245€. « Mais il va baisser à terme », nous promet-il.
Une filière locale de matériaux biosourcés
Voilà pour l’habillement. Mais Pierre Schmitt le revendique: lin et chanvre ont un avenir aussi pour remplacer les fibres de verre ou de carbone qui absorbent les chocs, et progressivement interdites dans certains secteurs : cadres de vélo, pales d’éoliennes, avions, bateaux… Le groupe travaille donc sur des biocomposites plus légers et à l’impact carbone exemplaire.
«On peut devenir un leader mondial des matériaux biosourcés », déclare-t-il.
Velcorex a donc créé un laboratoire de R&D avec l’Institut de science des matériaux de Mulhouse (IS2M).
Le secteur du bâtiment est aussi visé. Velcorex s’est associé à une startup alsacienne, Arketex, pour lancer un nouveau matériau visant à remplacer le plâtre des murs et des plafonds par du lin technique. Autant de projets qui vont permettre à la filière textile de revenir et de se réimplanter en France. L’Alsace n’est pas un cas isolé puisque presque 800 projets de relocalisation ont été initiés ou soutenus par le plan Relance du gouvernement.
Avec son accent alsacien, Pierre Schmitt n’hésite pas à citer le savant Théodore Monod : « Le peu qu’on peut faire, le très peu qu’on peut faire, il faut le faire. » Plutôt que de se réfugier derrière des grands discours, il faut faire les premiers pas.
« On est devenu fous dans ce pays. On a des matières premières qu’on envoie en Chine. Il faut refuser la fatalité. »