Un cancer sur trois diagnostiqué est un cancer de la peau — un mélanome ou un carcinome, soit 2 à 3 millions de cas chaque année dans le monde. Mais ces chiffres masquent toutes sortes d’insatisfactions. D’abord en raison d’un problème d’accès aux dermatologues, avec parfois six mois d’attente dans certaines régions de France. Ensuite et surtout, par l’usage fait de la dermatoscopie qui visualise seulement en surface à l’œil nu, ou à l’aide d’une loupe : « Une prise en charge par le praticien, qui fait figure de parent pauvre face à ce que des techniques d’imagerie d’optique et l’IA plus efficaces et plus directes peuvent proposer , regrette Anaïs Barut la présidente de Damae Medical. 50 % des biopsies cutanées sont considérées comme inutiles et laissent des cicatrices, quant à certains mélanomes, ils ne sont pas détectés immédiatement. »
DeepLive™ améliore la précision du diagnostic
C’est ce constat qui a conduit en 2014 cette étudiante devenue ingénieure à cofonder Damae Medical, avec David Sirey l’un de ses collègues de l’Institut d’Optique Graduate School, après une rencontre avec le professeur Arnaud Dubois, qui avait breveté une technologie optique pionnière, mais sans être encore passé à la phase de développement. Leur bébé s’appelle deepLive™, une solution basée sur la biophotonique — la science de la lumière et la biologie. « On envoie une source lumineuse qui réfléchit dans les structures de la peau. Puis on retranscrit l’intérieur de la peau, explique la présidente de Damae Medical, une nouvelle technique capable d’examiner les tissus en profondeur jusqu’au niveau cellulaire, par un simple contact avec la surface de la peau. » L’avantage de ce dispositif qui mêle imagerie 3D et intelligence artificielle : éviter les biopsies, diagnostiquer un cancer de la peau de manière plus précise, et aussi plus rapidement en un seul rendez- vous alors qu’avant le résultat pouvait prendre une quinzaine de jours, un délai parfois anxiogène. Important quand on sait que pour le patient, le pronostic continue de dépendre fortement du moment du diagnostic. « Si le spécialiste n’est plus obligé de faire une biopsie qui pouvait être évitée, on libère son temps qu’il pourra consacrer à des cas beaucoup plus importants. » L’IA est un outil puissant d’aide au diagnostic « afin d’aider les dermatos à atteindre le meilleur niveau de performance. On a montré que les novices avec l’IA avaient le même niveau que les experts sans l’IA », se félicite celle qui en 2015 se retrouvait dans le Top 10 des meilleurs innovateurs français de moins de 35 ans de la MIT Technology Review. Damae Medical est aujourd’hui entrée dans le paysage, soutenue par ses partenaires historiques tels Kurma Partners, Paris-Saclay et Eurazeo, et renforcée par une levée de fonds de 5 millions, il y a trois ans, portée notamment par BNP Paribas Développement. La jeune entreprise a noué des relations intimes avec une demi-douzaine de centres médicaux où les études cliniques sont réalisées avant d’y recenser les retours des utilisateurs.
« L’avantage de ce dispositif : éviter les biopsies, diagnostiquer un cancer de la peau plus précisément et en un seul rendez-vous. »
Le sentiment d’être utile
Aujourd’hui, 70 dispositifs sont installés et la barre des 100 devrait être dépassée cette année. Une quinzaine de pays ont été séduits — récemment les États-Unis et l’Australie — mais principalement l’Italie, la France et l’Allemagne « où la demande explose, confie Anaïs Barut, car le remboursement est effectif par la sécurité sociale outre-Rhin sur la base de 140 euros. Ce qui n’est pas encore le cas chez nous, mais on y travaille ». Une étape nécessaire avant aussi de s’intéresser à la télémédecine. La dirigeante a bien l’intention de positionner ses outils d’intelligence artificielle comme une sorte de compagnon pour les dermatologues afin de les aider dans la phase du diagnostic. Elle cible les dermatos hospitaliers, mais aussi les libéraux. Aujourd’hui deepLive™ se situe sur tout le scope — cancer, mélanome, kératose, carcinome vieillissement cutané — mais aussi les maladies inflammatoires comme le psoriasis et les lésions vasculaires. « À terme, on n’exclut pas d’aller sur d’autres organes quand on sera suffisamment matures sur la peau », prévoit celle qui au sein de la jeune société s’occupe du pôle Clinique Marketing Finance. C’est vrai qu’Anaïs Barut a plein de projets : « On a tous au sein de l’entreprise cette passion autour de la technologie et de l’IA. C’est stimulant. On se sent utiles. Nous sommes au bon endroit, au bon moment. On se prépare pour la suite. »