C’est en tout cas ce à quoi croit l’enseignant-chercheur Nicolas Gutowski, notamment dans le cadre de la prise de décision médicale. Il a ainsi travaillé au développement d’un outil, avec le CHU d’Angers, pour affiner le nombre de variables utiles à la prise de décision par les médecins « afin qu’ils sachent par exemple s’ils doivent traiter ou non », explique-t-il.
La décision restant aux mains du médecin. « On peut très bien aussi imaginer utiliser l’intelligence artificielle pour trouver des nouvelles molécules, ou encore optimiser des cellules pour les panneaux solaires », poursuit l’enseignant-chercheur à l’université d’Angers. Idem pour l’homologation ou l’aide à la prise de décision dans le secteur militaire. Ce à quoi travaille par exemple la jeune pousse NukkAI avec le spécialiste du secteur de la défense Thalès, les deux acteurs ayant signé début 2023 un partenariat pour développer une solution d’intelligence artificielle de fusion de données à usage militaire. « En exploitant en temps réel toutes les données reçues par les analystes militaires, nous leur permettrons de disposer, lorsqu’ils sont noyés sous un flot d’informations, d’une synthèse automatisée de la connaissance extraite, avec la possibilité de se focaliser sur les éléments d’intérêt », précise Jean-Baptiste Fantun le cofondateur de NukkAI. Autre secteur, celui de l’agriculture où, couplé à d’autres technologies (drones, robots, etc., équipés de caméras), l’IA pourra notamment permettre d’améliorer les rendements, en faisant le tri, au sein des cultures, entre bonnes et mauvaises pousses, bonnes et mauvaises herbes.
Santé : Une aide à la prise de décision
« En médecine, l’IA va permettre de gagner en efficacité. Il s’agit d’une véritable aide au diagnostic et à la prise de décision, assure Pierre Alliez à l’Inria. L’IA peut, par exemple, permettre de détecter les signaux faibles d’une crise cardiaque dans un électrocardiogramme en ayant été nourri préalablement à l’aide d’une quantité de données labellisées par des experts. »
Dermatologie, radiologie… dans certaines spécialités médicales, les débouchés sont aujourd’hui certains, connus, d’ores et déjà assurés. Principale hantise de longue date en effet pour les médecins : passer à côté du bon diagnostic avec, pour conséquence, une perte de chance pour les patients.
En dermatologie, on peut ainsi imaginer utiliser l’IA « pour le dépistage en temps réel d’images numériques de lésions cutanées », explique le Syndicat national des dermatologues-vénéréologues (SNDR). « L’identification des lésions suspectes » pourra ainsi être rendue plus rapide, en massifiant le traitement de données, ce qui devrait par exemple permettre « un diagnostic plus facile et plus précoce d’un mélanome ».
De tels outils existent déjà et sont à la disposition des médecins, parfois des patients, et pour certains, mêmes libres d’accès et gratuits, comme l’algorithme « Model Dermatology ».
Mêmes avancées en radiologie, où à Lille, des chercheurs de l’équipe Scool de l’INRIA, spécialisés en intelligence artificielle, se sont associés à des radiologues de CHU de Lille dans le cadre du projet RAID pour Radiology AI Demonstrator afin de mettre au point un algorithme d’aide à la décision en radiologie du coude, en traumatologie pédiatrique. « Une pathologie particulièrement complexe qui conduit à de nombreuses erreurs de diagnostic », souligne le radiologue du CHU de Lille, Thibault Jacques. Deux algorithmes ont ainsi été élaborés présentant un taux de précision de plus de 90%. « Un résultat très satisfaisant »,analyse Philippe Preux, professeur en informatique à l’université de Lille. « En revanche, il confirme ce que nous pensions, poursuit le directeur de l’équipe Scool de l’Inria : Les machines ne remplaceront pas l’humain mais le soutiendront. » Avec parmi les questions auxquelles les chercheurs tentent également de répondre : Comment l’humain devra-t-il prendre en compte l’information produite par une machine qui peut parfois faire des erreurs ? « Une problématique passionnante, qui demande de penser les choses autrement que sous le seul angle technique », analyse Philippe Preux.
Ou comment améliorer l’interaction entre l’Homme et la machine.
La suite ? L’intelligence artificielle va contribuer « à améliorer la profondeur du diagnostic médical, mais aussi la qualité des examens pratiqués », souligne le Dr Jean-Philippe Masson, président de la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR). « La profession pourra gagner ainsi en efficacité et en réactivité », poursuit-il. Avec, parmi les bénéfices attendus pour les praticiens, celui de pouvoir consacrer plus de temps aux patients, ou encore expliquer davantage diagnostic et prise en charge.
« Faire de la médecine de masse, personnalisée, sur mesure, adaptée à chaque patient, chaque humain ayant sa propre expérience passée… voici, en définitive la promesse de l’IA », résume Pierre Alliez. Pour autant, en médecine, « on n’aura jamais autant besoin de l’œil du médecin, de l’expert pour lever tout doute sur les données les plus ambiguës. »
Travail : Ce qui va changer grâce à l’IA
L’intelligence artificielle va permettre « d’envisager des gains de compétitivité dans tous les secteurs de l’économie française », insiste la direction générale des Entreprises au sein du ministère de l’Économie et des Finances. Un levier de croissance pour les entreprises, et une source d’innovation pour la production.
L’IA permettant notamment de simplifier les tâches complexes et répétitives pour gagner en efficacité, améliorer les process, diminuer les coûts, …
« Dans l’industrie par exemple, ou la smart city, couplée à de nombreux capteurs capables de mesures en continu, l’IA devrait permettre de développer des jumeaux numériques, et ainsi d’obtenir des boucles de rétroaction, afin d’adapter au fur et à mesure et réoptimiser en temps réel, la production, la gestion de flux, etc. », détaille Pierre Alliez à l’Inria Sophia Antipolis. Et d’insister : « L’IA c’est une véritable machine à aider », qui permet de prédire, optimiser…
Toutes les fonctions de l’entreprise risquent ainsi d’être plus ou moins concernées : grâce aux chatbots et autres assistants virtuels, dopés à l’IA, la relation client pourra ainsi gagner en efficacité; les fonctions marketing et communication affineront leur cible et obtiendront un ciblage encore plus précis de leurs messages, les fonctions comptables et financières simplifieront les calculs complexes, les services informatiques pourront sécuriser davantage les systèmes d’information en réactualisant la menace en quasi temps réel afin de mieux l’appréhender, et l’anticiper. Quid des RH ?
L’IA devrait par exemple permettre d’éviter « les préjugés inconscients dans le processus de recrutement », et ainsi favoriser les efforts de diversité et d’inclusion notamment dans les PME. En éliminant les éléments subjectifs de la prise de décision, les algorithmes peuvent en effet évaluer les candidats sur la base de critères objectifs, réduisant ainsi l’impact des préjugés liés au sexe ou aux origines. C’est ce que promet le spécialiste des services de ressources humaines pour les PME, Factorial, qui vient de lancer un outil permettant « d’analyser plus rapidement les informations contenues dans les CV et d’obtenir un bref résumé des compétences du candidat ». L’entreprise fondée à Barcelone tenant bon de préciser toutefois « que le point de vue humain reste crucial pour garantir l’équité et éviter de perpétuer les biais découlant des données. »
Agriculture : Quand l’IA trace son sillon
« que mangerons-nous demain ? », souvenez-vous, c’était le titre de notre précédent dossier de couverture. À cette question, et surtout à celle de savoir comment nourrir la planète, le géant Google souhaite y répondre grâce à l’utilisation de l’intelligence artificielle. Une équipe de chercheurs maison cartographient en effet en ce moment les champs agricoles et les plans d’eau, en Inde. Leur objectif : améliorer le rendement et la durabilité des cultures. Pour cela, les chercheurs exploitent des images satellites et utilisent un modèle d’apprentissage automatique pour délimiter chaque champ, le type de culture, ou encore la distance d’une parcelle par rapport aux points d’eau. Les chercheurs espèrent ainsi améliorer le rendement de chaque parcelle, et établir une stratégie dans la gestion de l’eau pour éviter la gaspillage ou minimiser l’impact des sécheresses.
Plus proche de nous en Europe, les chercheurs de l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) travaillent à se passer de pesticides chimiques, à l’horizon 2050. Pour ce faire, ils ont imaginé différents scénarios, impliquant une diversification des cultures, le développement du biocontrôle, largement piloté par l’intelligence artificielle.
Parmi les autres exemples à citer, celui de la jeune pusse Dilepix, une startup créée en 2018 par un ancien ingénieur de l’Inria Rennes-Bretagne et l’ancien directeur du développement économique à la chambre du commerce et de l’industrie de Bretagne. Objectif : Prévenir et détecter les menaces (insectes ravageurs, mauvaises herbes,…) qui nécessitent une intervention, grâce à l’analyse d’images en temps réel, en déployant des caméras, dans les champs, sur des machines agricoles,… avant de les relier à une IA. Les économies ainsi réalisées, en temps et intrants notamment, devant permettre d’augmenter les rendements et la durabilité de la production.