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Exploration spatiale : entre rêves & défis

Réalisé par Vincent Ferry

Les usagers de l’A13 se posent la question. Mi-avril, une fissure apparaît juste avant le tunnel de Saint-Cloud. Panique sur le trafic Paris-Province en direction de la Normandie. Idem dans le sens inverse. Embouteillages monstres, rendez-vous annulés et des étudiants bloqués sur la route qui manquent de ne pas rejoindre les centres d’examen. L’accès se retrouve fermé pendant plusieurs semaines. Et si cette faille avait pu être anticipée ? Par satellite, par exemple.

Satellites : pourquoi sont-ils essentiels dans notre quotidien ?

« Sur des chantiers de construction d’autoroutes, on peut être amené, avant travaux, à vérifier que le tracé est sûr, assure Stéphanie Limouzin, directrice générale adjointe de Collecte Localisation Satellites (CLS), une filiale du Centre national d’études spatiales (Cnes), pionnière dans la fourniture de solutions d’observation et de surveillance de la Terre. En fait, sur le Grand Paris, depuis plusieurs années […], on continue de mesurer, autour des zones de travaux, ces mouvements éventuels du sol pour détecter si, en raison des travaux ou d’un mouvement particulier, ça crée des risques d’effondrement ou d’enfoncement des infrastructures. » Et quand les routes sont fermées, une seule solution : les itinéraires de contournement, avec le GPS pour localiser, et l’application Waze pour optimiser. Merci les satellites ! Les Québécois privés d’électricité en 1989 – Sans eux, tout devient compliqué, voire impossible. Six millions de Québécois se souviennent de ce 13 mars 1989 où ils sont privés d’électricité pendant plus de huit heures. La cause : une tempête solaire provoquant des secousses très préjudiciables au système électrique et satellitaire ! La Nasa perd le contact avec ses objets spatiaux. En Afrique, un contingent australien déployé pour une opération de la paix en Namibie ne parvient plus à communiquer et à téléphoner avec les centres opérationnels. Il utilisait aussi des téléphones satellites.  « Lorsque vous payez votre plein d’essence par carte de crédit, c’est une transaction par satellite », explique Daniel Baker, du Laboratoire de physique atmosphérique et spatiale de l’université du Colorado, à l’occasion d’une conférence de géophysique en décembre 2016. « La centralité des infrastructures spatiales dans le fonctionnement de notre quotidien et notre sécurité (communication, localisation, observation, transport, prévisions météo, anticipation et gestion des risques, secours…) est aujourd’hui clairement perceptible », fait observer le chercheur Amaury Dufay. Malgré, les ondes, les drones, la fibre, et les câbles ! Sans ces corps ailés en orbite, pas de bulletin météo, ni les cartes qui permettent d’anticiper avec précision les mouvements de l’atmosphère et l’impact à venir sur nos têtes. De l’aveu des ingénieurs de Météo France, plus de 80 % des données utilisées dans le système de prévisions numériques météorologiques proviennent de mesures satellitaires. Des outils précieux pour l’environnement – Le GPS et l’imagerie boostent l’agriculture, comme le montrent les services offerts par FarmStar. Lancés en 2002 par Airbus Defence and Space, ils permettent de rationaliser et d’économiser des centaines de milliers d’engrais azotés. La solution est autant économique qu’écologique ! Avec les variations climatiques, ces outils deviennent précieux et permettent d’intégrer les caprices de la météo. Le vin se met aussi à la carte satellite. Au château Malartic-Lagravière, maison réputée du Pessac-Léognan, on assure que ces images ont fourni des indications précieuses sur la vigueur de la vigne et des ceps. Conséquence : une gestion améliorée de la fertilisation, un meilleur entretien des sols et de la taille, une récolte optimisée à l’automne, et au final, un vin encore plus capiteux ! Autre domaine capital : l’environnement. L’entreprise française Argos aide ainsi le gouvernement indonésien à détecter les sites où échouent les 620 000 tonnes de déchets plastiques. Grâce à ces services, les autorités de Jakarta ont eu la confirmation que 90 % des déchets plastiques en mer, finissent sur le littoral. De quoi les ramasser plus facilement et atteindre leur objectif de réduction de 70 % du plastique en mer d’ici à 2025. « Les applications sont infinies et les bénéfices considérables, assure-t-on chez la startup spécialisée dans les nanosatellites, Kinéis. Réduction des risques, anticipation des pannes, optimisation des activités… » Le 4 mars dernier, la fusée Falcon 9 de Starlink a, pour sa part, envoyé Methane-SAT, un satellite dédié à la détection des fuites de méthane, puissant gaz à effet de serre, dans la production de pétrole et de gaz naturel. L’an dernier, elle avait embarqué TEMPO, un satellite chargé de surveiller et déceler méticuleusement les sources de pollution au-dessus des États-Unis : voitures, industrie, feux de forêt, etc. Surtout les satellites sont aujourd’hui les seuls à pouvoir fournir certains services : « Le gros avantage de ça, c’est que vous pouvez aller observer des endroits qui sont relativement inaccessibles. Aujourd’hui, avec le téléphone satellite, vous êtes au milieu de la forêt vierge. Eh bien, vous pouvez communiquer et demander par exemple des secours », rappelle le journaliste scientifique Michel Chevalet. En France, plus de 10 000 personnes ont choisi les services de la constellation de 3 543 satellites de Starlink pour obtenir de l’Internet à haut débit. « Alors bien sûr que moi, qui habite à la campagne par exemple, j’ai longtemps été effectivement le parent pauvre des lignes Internet et un peu en galère », témoigne de son côté Stéphanie Limouzin. Derrière ces progrès considérables, une question, une inquiétude. Si plus rien n’échappe à la surveillance de ces vigies de l’espace, n’est-on pas tombé un peu plus dans une société « Big Brother » ? « Nous, on est une société française, donc totalement soumise à la directive RGPD », plaide Stéphanie Limouzin. Une exception européenne ?

Conquête spatiale, rivalités historiques, enjeux militaires, souveraineté

Tirs contre des satellites, numérisation des champs de bataille, enjeux de puissance, l’espace est devenu un nouveau théâtre conflictuel et un lieu incontournable pour affirmer sa puissance. Quelles étoiles brilleront de nouveau sur la Lune ? Celles de la bannière américaine ? À moins que ce ne soit celles constellant en haut à gauche du drapeau rouge chinois ! Artemis vs China’s Chang’e ou La Guerre des Étoiles. Saison 2. Épisode 1. La rivalité pour fouler le sol lunaire fait rage entre Pékin et Washington. Alors que les successeurs de Mao rêvent d’envoyer un taïkonaute en 2029 ; côté américain, pourra-t-on tenir l’objectif de 2025 ? « C’est un fait, nous sommes engagés dans une course à l’espace », reconnaissait dans Politico, l’an dernier, le patron de la Nasa, Bill Nelson, qui ajoutait sur les Chinois : « Il est vrai que nous devons veiller à ce qu’ils ne se rendent pas sur la Lune, sous couvert de recherches scientifiques. Et il n’est pas exclu qu’ils disent “ne vous en mêlez pas, nous sommes ici, c’est notre territoire”. » « Aujourd’hui, les opérations spatiales concernent quasi exclusivement les orbites terrestres. À mesure que les activités humaines s’étendront au-delà, notamment vers la Lune, ce champ d’action s’élargira pour englober les orbites cis lunaires, voire à long terme la surface de notre satellite naturel », soutient le chercheur Amaury Dufay, dans un ouvrage très didactique. La guerre de la Lune, première bataille de la nouvelle « guerre des étoiles » ? « Je n’irai pas jusque-là », tempère Xavier Pasco. Auteur d’un passionnant livre sur Le Nouvel âge spatial, De la guerre froide au New Space 2, le président de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) reconnaît néanmoins que « c’est un sujet de compétition symbolique ». Nécessaire pour relancer les programmes spatiaux, en berne côté américain, après l’explosion de la navette Columbia, en 2023. Une certitude : après une période d’accalmie et de désintérêt à la fin de la Guerre froide, « l’espace se remilitarise », explique Amaury Dufay. La bataille qui fait rage réside désormais dans le contrôle des orbites, nouvelles « routes stratégiques » selon le chercheur. Plus encore, selon le vieux principe de guerre « qui tient le haut tient le bas ». Une domination en altitude permet de contrôler les zones plus basses. Dès lors, « la puissance spatiale est maintenant aussi vitale pour la force et la prospérité de notre pays que la puissance maritime, il y a des siècles. Tout comme nous avons développé la marine américaine pour assurer la libre circulation maritime, nous avons besoin d’une organisation militaire pour assurer la libre navigation vers les étoiles », expliquait Patrick M. Shanahan, secrétaire américain à la Défense par intérim, le 18 avril 2019. L’année d’avant, Donald Trump portait sur les fonts baptismaux l’US Space Force (en français, « Force spatiale des États-Unis »). En Asie, les Japonais créent le Space Domain Mission Unit Japon 2020, pendant que les Britanniques mettent en place le United Kingdom Space Command en 2021, et les Allemands, le Commandement spatial de la Bundeswehr, en 2021. Pour autant, c’est la France qui est la plus avancée en Europe dans ce domaine. Dotée depuis 2019 d’un commandement de l’espace, bardée de véritables atouts, elle est concurrencée par de véritables mastodontes ? Leur nombre a crû ces dernières années : Russie, États-Unis, Chine mais aussi l’Inde avec la base de départ de Jodhpur. « Être une puissance aujourd’hui, c’est être dans l’espace », rappellent les experts. Sachant, en outre, que les satellites de Starlink ont sauvé Kiev dans les premiers jours de la guerre. Bref, entre guerre de satellites, politique de puissance et contrôle des opérations, un nouvel adage s‘impose : « Si tu veux la paix, prépare la guerre », et… va dans l’espace !

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